Débat lancé dans le Bulletin n° 103 de mai 2023 :
La compétition peut-elle jouer un rôle plus ou moins important dans la visibilité et la réputation de notre style et à quels niveaux ?
Peut-elle être l'attracteur d'un public plus jeune vers notre discipline ?
Qu'en pensez-vous ?
Il faut bien une première plume qui s'y lance.
Tout d'abord le titre. C'est vite réglé, c'est un peu comme si on me demandait : "Pour ou contre les anchois dans la pizza ?". Je ne peux que répondre : "C'est affaire de goût." et la sagesse populaire ajoute : "Les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas."
Répondre aux questions est plus long.
La compétition peut-elle jouer un rôle plus ou moins important dans la visibilité et la réputation de notre style et à quels niveaux ?
Très certainement, la participation victorieuse à une compétition contribue à la visibilité et la réputation d'un style auprès de la structure fédérale qui organise cette compétition. Mais il y a d'autres facteurs de visibilité et de réputation : implication dans les structures fédératives, les différents jurys et comités techniques, les événements organisés ; nombre de licenciés et d'enseignants diplômés ; qualité de la pratique des postulants aux différents diplômes ; … Je n'ai pas d'éléments pour pondérer l'importance relative de ces différents facteurs, il faudrait l'avis de personnes impliquées dans ces structures fédératives. Mais il reste qu'aucun des facteurs de réputation auprès d'une fédération délégataire* ne peut être négligé en France, vu le rôle et le pouvoir qui leur sont attribués par les pouvoirs publics. Cette configuration ne me semble pas générale. L'avis des pratiquants d'autres pays est sollicité ici.
Auprès des pratiquants d'autres styles, je pense que l'impact est beaucoup plus restreint, probablement limité à ceux qui ont goût à la compétition, c'est à dire une (très petite ?) minorité de la population actuelle des pratiquants, me semble-t-il, en partie, mais pas seulement, à cause de sa démographie. Les turbulences et les débats qui ont agité la FFaemc** il y a quelques années, avant la scission entre les tenants de la compétition, partis à la fédération de karaté, et ceux qui sont restés, témoignent de conceptions difficilement compatibles au milieu des enjeux de pouvoir et de répartition des moyens. La réattribution de la délégation à la Faemc et le retour du second F dans son acronyme la contraignent à organiser à nouveau la compétition. Il reste à voir si le processus de division ne se reproduira pas à mesure qu'une élite sportive se reconstituera.
Enfin, auprès du grand public non-pratiquant, l'impact me semble totalement nul, non seulement parce que ces compétitions ne sont pas retransmises à la télévision et n'ont de chances de l'être un jour que si le taiji quan devient sport olympique, mais aussi parce que je crois très peu probable qu'un commentateur sportif mentionne jamais le style d'origine des compétiteurs, l'exemple du karaté combat étant très probant. A part pour les matches de football, la presse générale donne peu de place aux résultats sportifs tant que le niveau international n'est pas atteint. Il reste la presse spécialisée comme L'Equipe.
Je retiens pourtant l'impact d'un titre de champion sur une carte de visite d'enseignant professionnel.
Peut-elle être l'attracteur d'un public plus jeune vers notre discipline ?
Me basant sur l'exemple du judo, j'ai un doute à ce sujet. Des générations d'enfants, amenés dans les dojos par leurs parents pour des motivations très diverses, se sont retrouvés devant des enseignants, souvent des compétiteurs recyclés, missionnés pour détecter et former les prochains champions olympiques. A l'origine conçu par son fondateur comme un formidable outil éducatif, sa mutation progressive en sport olympique en a fait un des sports générant le plus d'abandons en cours de route. Nous ne sommes pour le moment pas du tout dans le même cas, les cours de taiji quan pour enfants étant rarissimes, mais le piège peut fonctionner à tous les âges.
Est-ce que des jeunes adultes pourraient être attirés vers le taiji quan via la compétition de tui shou ? J'ai un doute aussi. Je ne crois pas qu'on commence à pratiquer une activité physique quelconque par goût de la compétition. On commence à pratiquer parce que la discipline plaît pour des raisons diverses. La compétition peut venir ensuite si on y a goût. J'ai donc plutôt l'impression que de jeunes adultes pourraient être attirés vers le taiji quan par la pratique du tui shou, voire par une version boxe éducative du taiji quan, comme enseignée par William C.C. Chen ou d'autres. Une partie d'entre eux auront alors le goût de la compétition et tenteront d'y briller. Lesquels formeront les générations suivantes de pratiquants et d'enseignants ? Quel taiji quan sera alors pratiqué ? L'exemple des effets de la compétition de judo mérite d'être médité.
* En France, seule la fédération délégataire d'un sport peut insérer la mention "Français·e" dans son intitulé. La délégation concerne l'organisation de la délivrance des diplômes d'enseignants (et le plus souvent celle de la formation afférente) ainsi que l'organisation des compétitions. Aucune fédération concurrente ne peut attribuer de diplôme d'enseignant·e reconnu par l'Etat ou de titre de "Champion·ne de France".
** Fédération Française des Arts Energétiques et Martiaux Chinois.